[INTERVIEW] de Sandrine Lecointe – Fondatrice de Oane

Originaire de Madagascar et entrepreneure engagée, elle révolutionne l’industrie cosmétique depuis plus de 11 ans. Spécialiste des cosmétiques naturels, elle milite pour une écoconception respectueuse de la planète. Entrepreneure, auteure, et formatrice, elle propose des solutions innovantes comme Oane, un emballage hydrosoluble, pour limiter l’impact environnemental.

Quel est votre parcours professionnel ? Présentez-vous en quelques lignes.

Originaire de Madagascar et issue d’une famille d’entrepreneurs, j’ai vécu 20 ans en Afrique noire où j’ai monté ma première entreprise au Congo à 22 ans dans un pays en sortie de guerre. Puis de retour en France en 2006, j’ai connu le salariat et en suis partie au bout de 8 ans pour créer ma propre structure après 2 ans de formation en cosmétologie, aromathérapie et phytothérapie en parallèle.

Je côtoie l’écosystème des cosmétiques naturels dans leur globalité depuis 2013, année de ma première prise de conscience sur les produits cosmétique qui n’étaient plus très naturels et étaient tellement transformés, que je n’étais plus très sûre des bienfaits réels qu’on me vendait en gros caractères sur les emballages. Les acteurs, les tendances du marché, les filières durables, les emballages, l’approvisionnement, la formulation, la distribution, etc. n’ont plus de secret pour moi. 

C’est forte de cette expérience depuis plus de 11 ans dans l’industrie, en tant que marque (Fondatrice de Madagas’Care Cosmétique 2015-2019), d’association (La Maison de la Cosm’Ethique 2017-2021), et d’associée dans un laboratoire cosmétique (CoRelab 2021-2023) que je forme aujourd’hui écoles et entreprises, accompagne et conseille de nombreux porteurs de projets à écoconcevoir et agir concrètement pour la préservation de notre bien commun : la Terre. J’interviens dans de nombreux lieux (conférences, écoles, entreprises…) pour promouvoir l’écoconception d’une cosmétique responsable et véritablement engagée.

Je suis également auteur. J’ai dirigé et co-écrit le premier ouvrage sur l’écoconception cosmétique (Editions Eyroles 2023) avec 8 autres experts.

Un autre ouvrage est en cours de rédaction, mais là, je ne peux rien dire de plus ;p

Qu’est-ce qui vous passionne dans votre métier, tout particulièrement ?

    J’aime à dire que je suis tombée dans un pot de crème et barbotte à merveille dedans ^^

    Mon expertise m’emmène à côtoyer l’écosystème d’un produit cosmétique (hygiène, skincare, parfum, make up ou complément alimentaire) de la graine à la fin de vie. J’ai un rapport à la Terre que j’entretiens depuis ma formation initiale de céramiste d’art. Et ce lien n’est pas celui que j’imaginais à 18 ans ! Mais il est là, caché : car avant d’avoir un savon dans les mains ou une crème, les gens ont tendance à oublier qu’à la base, il y a un sol qui a fait pousser des végétaux (nos actifs cosmétiques) et c’est ce lien à la Terre que nous devons préserver !

    Le fait d’œuvrer dans l’industrie de la beauté est passionnant car c’est un secteur en perpétuelle R/évolution. C’est en plus un des secteurs les plus dynamiques et lucratifs au monde, avec une croissance soutenue et des innovations constantes. On ne s’ennuie jamais et chaque jour on apprend un peu plus. Il y a toujours de nouveaux sujets à creuser, de nouveaux défis à relever, et pour la femme d’action que je suis : de nouveaux combats à porter. Je suis peut-être un peu hyperactive mais j’aime quand ça bouge ! Et si cela ne bouge pas assez, alors on peut compter sur moi pour agiter le bocal lol

    J’aime solutionner des choses, et répondre à des besoins.

    D’ailleurs, le dernier exemple en date : Une « Maraude Beauté » que j’ai organisée avec l’association Ordre de Malte en mars dernier. J’avais constaté que les sans-abris parisiens ne bénéficiaient que de très rare dons de produits d’hygiène, comparé aux dons alimentaires et textile. J’ai donc organisé cette « Maraude Beauté » et en 3 mois, j’ai pu récupérer plus de 8000 produits « clean » que l’on a distribué dans les rues de Paris avec de jolies marques engagées. La seconde maraude aura lieu le 19 novembre 2024. Si le cœur vous en dit, on en reparle ;p

    Autre sujet passionnant dans mon métier et ma liberté d’agir ! En tant qu’entrepreneur, j’ai la liberté d’organiser mes journées comme je le souhaite. Travailler avec qui je veux, où et quand je veux. 

    Et ça, ça n’a pas de prix !

    Qu’est-ce qui vous a amené à devenir une entrepreneure engagée dans la transformation de l’industrie cosmétique & la préservation du Vivant ?

    Plusieurs choses et en plusieurs étapes.

    La toute première est ma première (et dernière) grossesse qui m’a mise en chaise roulante sur le dernier trimestre jusqu’au 1 an de mon fils.

    Cela m’a emmené à prendre conscience de 2 choses : Notre peau est un organe à part entière que j’ai vu détruit à cause des multiples crèmes que l’on m’a appliqué pour me « soigner » et en comparaison, la peau toute neuve de mon bébé, qui dès la maternité, était soumis à des produits offerts par des marques, et remplies de produits pétrochimiques et bien toxiques.

    La seconde prise de conscience fut lorsque je suis allée me faire soigner à Madagascar pour espérer retrouver la marche. Au bout de quelques mois sur place, la nature malgache m’a soigné bien mieux que les produits conventionnels. Et ce fut un véritable déclic !

    En 2014, j’ai compris que cette industrie de la Beauté était polluante à bien des niveaux : Elle est un des acteurs clé de l’industrie pétrochimique avec 18% de la production mondiale d’hydrocarbures, et est responsable jusqu’ à 1,5% des émissions de GES par l’utilisation dans la composition, la fabrication des produits, des emballages mais aussi de nos usages.

    Et enfin une mise en danger du Vivant. Tant pour notre santé à nous que celle du monde qui nous entoure. Alors naturellement, quand on aime quelque chose, on se bat pour le protéger ; Le fait que j’ai grandi au contact d’une nature luxuriante (forêt équatoriale et océan atlantique), que je sois originaire d’une des plus grandes iles où la biodiversité endémique est reine (enfin : était reine), et que l’industrie de la Beauté source dans tout cela, je ne peux qu’être là où je dois être. 

    Je mets mon énergie à disposition des acteurs qui veulent comme moi préserver ce Vivant qui s’épuise.

    Mais de façon générale, je suis portée par mes convictions et mes valeurs. Car nous sommes probablement la dernière génération à pouvoir changer des choses vis-à-vis de l’effondrement de la biodiversité et du bouleversement climatique.

    Mon fils est aussi un sacré moteur. Et c’est pour ces prochaines générations que mes actes servent.

    Pouvez-vous nous parler du projet Oane ? 

    Oane est un projet – au stade de prototype- que je mène en sous-marin depuis 2021.

    L’idée a émergée en plein Covid lors d’un hackathon que j’ai remporté au niveau national. Et depuis, l’idée d’être la solution de remplacement à tous les emballages à usage unique dans la salle de bain a fait son chemin. Le concept : concevoir un matériau hydrosoluble 100% naturel dédié aux produits cosmétiques sous forme de capsules unidoses. 

    L’objectif est simple : Permettre aux marques de produits cosmétiques de pouvoir conditionner leurs formules liquides avec un matériau totalement innovant, 100% végétal et 100% éco-concu. Un film hydrosoluble qui réduit leur impact et prône une économie circulaire.

    Coté consommateur, fini la culpabilité de se dire j’achète un produit qui a été conçu dans un emballage aux ressources finies qui deviendra un déchet qui polluera l’environnement -si mal géré.

    Nous répondons donc un problème à la fois de gaspillage de produit mais aussi de pollution sur l’environnement.

    Après quatre longues années de recherches et développement, nous avons arrêté une formulation et terminons notre première levée de fonds cette année. Nous avons aussi finalisé une phase d’écotoxicologie afin d’être certain de l’impact zéro de notre matériau en environnement terrestre et aquatique.

    La suite s’écrit actuellement, patience ! 😊

    Quelle est sa raison d’être profonde ?

    Bien plus qu’un emballage, et bien plus qu’une nouvelle gestuelle, Oane est une vision. Celle d’Offrir un Avenir à Nos Enfants (vous avez vu l’acronyme ?). Car au-delà d’avoir une nouvelle façon de consommer la cosmétique, Oane veut devenir l’alternative unique aux emballages à usage unique dans la salle de bain.

    Il faut noter que l’industrie cosmétique actuelle génère 120 milliards d’unité de déchets par an et que seulement 9% de ces déchets sont recyclés ! Et quand on sait aussi que c’est 300 000 tubes et pots de crèmes qui sont vendus chaque jour en France… et que chaque année, c’est aussi 4 tonnes de produits de beauté qui sont jetés, alors forcément j’enrage et j’agis !

    Que proposez-vous aux entreprises du secteur de la cosmétique ?

    A l’heure ou la complexité du monde et des challenges à relever par les entreprises, implique de réagir vite et donc de savoir allier talents, idées et forces vives, cela nécessite de dépasser certains freins. Et l’écoconception est clairement un levier majeur !

    C’est pourquoi je propose des formations et des conférences qui bousculent les idées reçues sur ces enjeux de transition écologique. Car écoconcevoir est un défi, une opportunité, mais surtout une nécessité pour toutes entreprises. Il est, je pense, urgent d’aller au-delà de la simple promesse écologique et de passer véritablement à l’action. Je les accompagne donc à écoconcevoir en Beauté. Pas à pas. En suivant tout le cycle de vie du produit, de la graine au tombeau.

    Quant au projet OANE, que diriez-vous de participer à notre levée de fonds !?

    Est-ce que la pollution numérique est un sujet pour vous ?

    Oui c’est un sujet aussi important pour moi, et je veille à limiter aussi cet impact. Etant équipé comme beaucoup, d’un ordinateur et d’un smartphone, j’opte pour un numérique plus durable. Aussi bien dans mes choix d’achat qui vont vers de la seconde main, mais aussi dans mes usages liés à internet qui ont des conséquences sur le climat, sur la biodiversité et même sur l’épuisement des ressources naturelles non renouvelables.

    Donc que ce soit l’usage d’un moteur de recherche, l’envoi d’un simple e-mail (sans pièce jointe) ou encore le stockage de dossiers et photos par exemple que je préfère stocker localement plutôt que de recourir à un cloud, … bref, toutes ces petites actions du quotidien ont une empreinte environnementale aussi forte qu’utiliser une crème exfoliante bourrée de pétrochimie et de microplastiques ! Chacun de ces aspects sont au cœur de ma transition écologique que j’ai commencé il y a déjà 11 ans.


    Utilisez vous des outils et plateformes dans votre quotidien pour maîtriser votre impact (comme FileVert par exemple) ?

    Oui, je m’y emploi mais ce n’est pas toujours facile lorsqu’on est entrepreneur ! Déjà, je n’ai plus FB et n’ai jamais eu X ou Tiktok qui sont des applications très impactantes. J’essaie aussi d’éviter Google mais c’est un vrai défi pour trouver des alternatives au quotidien. 

    J’utilise un moteur de recherche responsable (Ecosia). Depuis 2019, j’ai aussi considérablement réduit mes mails. Exit aussi Amazon et ne commande presque plus en e-commerce. Mes achats sont réfléchis et de plus en locaux et raisonnés.

    Je ne prends plus l’avion depuis 2019, donc pour mes nombreux déplacements en train, je fais toujours un comparatif avec Lowtrip. Quant à mes analyses de cycle de vie, j’ai opté pour Kisaco Maker, très simple à utiliser pour Oane ou les projets des marques que j’accompagne. Le calculateur développé par Impact CO2 aussi est assez intéressant.

    Que pensez-vous de FileVert ?

    J’en pense que c’est une belle alternative décarbonée et suis ravie de son existence ! Je l’utilise car elle est très simple d’utilisation et aussi car j’essaie de consommer « local » 😉

    Alors bravo à vous !