[INTERVIEW] de l’Association Boomforest

L’interview avec Boomforest, une association dédiée à la reforestation, met en avant leur mission et leurs actions. Ils soulignent l’importance de planter des arbres en zones urbaines et rurales pour renforcer la biodiversité, lutter contre le changement climatique et créer des espaces plus verts. L’association évoque aussi les défis rencontrés, tels que le financement et la sensibilisation du public, tout en partageant leur vision d’un avenir durable grâce à des efforts collectifs.

Où en est-on dans la reforestation en 2024 ?

Avant de parler de reforestation, il faut déjà parler de la déforestation ! Le dernier rapport de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) publié en 2020 fait état de 10 millions d’hectares déforestés par an dans le monde, du fait de l’extension agricole dans 90% des cas.

Ces chiffres concernent surtout des pays disposant d’une importante forêt primaire comme le Brésil, la République Démocratique du Congo ou l’Indonésie. En France, la situation est différente. S’il est connu que le couvert forestier s’accroît sur le territoire national chaque année (+20% depuis 1985 d’après France Bois Forêt), on sait en revanche assez peu que la forêt française est en réalité composée principalement de plantations d’arbres à but commercial. La progression de la forêt, elle, ne résulte pas d’un choix politique, mais de la déprise agricole : les champs progressivement abandonnés par les agriculteurs, de moins en moins nombreux, se voient recouvrir progressivement et naturellement par la forêt.

On parle par exemple de la « forêt des Landes de Gascogne » alors qu’il s’agit d’une plantation monospécifique (une seule espèce d’arbres, aux qualités particulièrement intéressantes pour la production de bois) de pins.

Cette confusion entre les termes forêts et plantations d’arbres cache deux réalités très différentes du point de vue des écosystèmes et de la biodiversité qui y vit.

Une forêt naturelle pousse toute seule, elle est composée d’arbres et d’arbustes indigènes d’espèces et d’âges variés, complémentaires, et abrite une faune tout aussi diversifiée qui leur est associée. La plantation d’arbres, en revanche, a été créée par l’être humain dans un but d’exploitation. Elle ne comporte en général qu’une ou deux espèces d’arbres différentes, plantées pour leur intérêt commercial (pousse rapide, tronc droit, adaptable à différents types de sol), bien souvent non indigènes et tous du même âge pour simplifier la récolte. Ces deux espaces n’ont donc en réalité rien à voir l’un avec l’autre, si ce n’est un grand nombre d’arbres.

Quand on parle de reforestation, il faut donc bien vérifier de quoi on parle. Le plan France Relance sur la forêt d’un montant de 200 millions d’euros annoncé par le gouvernement pour « aider les forêts à s’adapter au changement climatique » par exemple, est en trompe-l’œil, puisqu’il concerne à 83% la replantation en monoculture, notamment de pin Douglas, une espèce originaire d’Amérique du Nord (source : Rapport sur le bilan caché du plan de relance en forêt publié par l’association Canopée).

Quels sont les enjeux aujourd’hui, pour nous, et pour le monde entier, de replanter des arbres ?

L’enjeu pour l’humanité n’est pas tant de replanter des arbres, car on l’a vu, cela sert surtout un objectif industriel, mais bien de préserver les forêts primaires encore existantes et de contribuer à protéger et reconstituer des forêts naturelles, indigènes et diversifiées.

Pourquoi ? Déjà parce que la forêt est le premier puits de carbone terrestre et que la déforestation des forêts primaires ainsi que le changement d’affectation des terres qui en résulte sont responsables de 10 à 15% du total mondial d’émission de carbone. Mettre un terme à la déforestation et restaurer les ressources forestières pourrait compenser jusqu’à un tiers de toutes les émissions de carbone dans le monde (source : Drawdown, Paul Hawken).

En outre, les forêts naturelles donnent le gîte et le couvert à un nombre incalculable d’espèces d’insectes, d’oiseaux, de mammifères, de champignons… dont l’humain dépend indirectement. Les forêts tropicales abritent par exemple les deux tiers de tous les animaux et plantes de la planète.

En France, et surtout dans les villes, là où Boomforest intervient pour replanter des mini-forêts, les arbres jouent un rôle important pour aider les zones urbaines à s’adapter au changement climatique. Par exemple, les forêts urbaines régulent la température et procurent des zones de fraîcheur lors des vagues de chaleur. Elles aident aussi à réguler les eaux de pluie et limitent les impacts des phénomènes météo extrêmes.

Toutes les villes du monde sont concernées par ces enjeux et, par extension, des milliards d’êtres humains. Et la tendance ne va pas s’inverser puisque d’après les Nations Unies, d’ici 2050, les villes compteront environ 2,5 milliards d’habitants en plus. Il est donc urgent de mieux adapter nos villes aux bouleversements climatiques et planter des arbres fait partie des solutions.

Le gouvernement a donné comme objectif de planter 1 milliard d’arbres d’ici à 2032, est-ce pour vous réalisable ?

Deux questions se posent : quels arbres ? et où les plante-t-on ?

S’il s’agit de planter toujours plus de résineux dans des milieux auxquels ils ne sont pas adaptés, alors ce plan ne sert qu’à industrialiser encore davantage la forêt française et non à restaurer son caractère naturel et diversifié. Ce n’est pas un objectif écologique, soyons clairs.

Le danger de l’enrésinement massif est dénoncé depuis plus de 50 ans par les botanistes et les scientifiques comme un facteur de déséquilibre écologique, mais également pour son impact sur la conservation des sols et à cause du risque accru d’incendies (sources : (1) Colloque U.P.A.U., M. Roger Molinier, 1969, p. 60-61 ; (2) L’environnement végétal, P. Lieutaghi, 1972, p. 257).

En outre, planter autant d’arbres nécessite une emprise au sol considérable. Si la forêt a tant été défrichée en France depuis l’Antiquité, c’est bien pour permettre d’étendre les champs et l’exploitation agricole. La replantation massive d’arbres, même dans le but de recréer des espaces de forêt naturelle, va nécessairement entraîner des conflits d’usages avec un modèle agricole industriel fondé sur l’exploitation de grandes surfaces.

Un plan de reforestation en France devra donc s’envisager conjointement avec une transition du modèle agricole, ce qui n’est pour le moment pas le cas.

En outre, ce conflit d’usage se pose avec encore plus d’intensité dans les villes, où la pression foncière est immense. Mais les possibilités de reforester existent, elles sont même nombreuses ! Boomforest s’est fait une spécialité d’exploiter toutes les « dents creuses » de la ville dont on ne peut pas faire grand-chose : talus de bord de route, zones inondables, non-constructibles, pourtours de sites industriels…

À l’échelle du territoire, les possibilités ne manquent pas, mais les aménagements de ce type doivent toujours se faire en concertation avec les usagers locaux et nécessitent une approche fine, sur-mesure, et non un plan massif standardisé.

Est-ce que vous pouvez nous présenter rapidement ce qu’est l’association Boomforest ?

Boomforest est une association à but non lucratif fondée en 2017 dont l’objectif est d’appliquer et faire connaître la méthode de reforestation du professeur Miyawaki afin de permettre aux citoyens de faire revenir concrètement des forêts sauvages sur leur lieu de vie.

Depuis maintenant 6 ans, nous organisons avec les villes et collectivités des plantations de mini-forêts en nous inspirant de cette méthode et avons ainsi recréé plus d’une vingtaine de mini-forêts en Île-de-France et en région lyonnaise.

Nos plantations sont participatives : les arbres sont plantés par des bénévoles, riverains et locaux de tous âges. L’idée est de donner l’occasion aux gens de faire quelque chose de concret pour verdir leur ville et agir en faveur du retour de la forêt sauvage, en participant à une plantation.

En parallèle, nous faisons connaître la méthode Miyawaki, en partageant gratuitement des ressources et formations et en intervenant dans les écoles pour donner l’envie et les moyens au plus de personnes possible de planter eux aussi une mini-forêt citoyenne près de chez eux.

Quel a été le constat pour créer cette association ?

Savez-vous qu’à Paris, seul 8,8% de la surface totale de la ville est couverte par de la végétation ? À titre de comparaison, Amsterdam en est couverte à 20%, et Singapour à 28% !

C’est ce constat qu’a fait Enrico Fusto lorsqu’il a fondé Boomforest : la ville a besoin de plus de verdure, mais comment faire ? Pour lui, la solution devait venir des habitants qui habitent cet espace. Mais dès lors, comment permettre aux citoyens d’augmenter la place du végétal et des arbres dans leur ville ?

C’est ainsi qu’il s’est intéressé à la méthode Miyawaki qui permet de planter une forêt à croissance rapide, s’adapte aux petites surfaces et surtout, repose sur un fort engagement citoyen, comme on peut l’observer au Japon depuis qu’elle a été inventée dans les années 70.

Il ne restait plus qu’à faire un test ! C’est comme cela que le tout premier projet de plantation d’une mini-forêt Miyawaki de France a été proposé au vote des Parisiens lors du Budget participatif de 2016. Ce fut un véritable succès populaire qui a permis à la forêt de Montreuil de voir le jour en 2018.

L’engouement pour cette expérimentation ne s’est pas limité au moment de la plantation : une fois les arbres en terre, de nombreuses personnes sont venues voir comment évoluait le site, parfois de l’étranger, d’Europe et même plus loin, et nous avons décidé de structurer davantage notre approche pour transmettre notre modeste expérience et continuer à expérimenter la méthode avec de plus en plus de monde, tout en permettant à d’autres collectifs de lancer leurs propres initiatives. L’histoire de Boomforest était lancée.

Pourquoi utilisez-vous spécifiquement la méthode Miyawaki ?

Il y a une dimension expérimentale qui nous a beaucoup intéressés depuis le début : quand nous avons pris connaissance de la méthode, nous avons été très surpris de voir qu’elle était pratiquement inconnue en France il y a quelques années, et il nous a paru excitant et important de l’éprouver et, si elle montrait du potentiel sous nos latitudes, de la faire mieux connaître. Elle possède plusieurs avantages qui nous semblaient particulièrement importants pour l’époque que nous traversons.

J’ai déjà mentionné la croissance rapide des végétaux (sur les sites où le sol est bien préparé et les conditions favorables, on observe jusqu’à 1 mètre de croissance par an sur les premières années) mais il faut ajouter que la méthode Miyawaki permet la reconstitution d’écosystèmes forestiers riches et diversifiés, avec une communauté d’espèces végétales cohérente qui repose sur l’observation des dynamiques naturelles. C’est bien sûr une plantation, avec des arbres d’âges similaires au départ, mais elle tend à imiter le plus possible une situation naturelle, la diversité biologique d’une forêt déjà mature.

En outre, la densité et la diversité des végétaux permettent à ces forêts d’avoir une bonne résistance aux aléas climatiques comme les canicules, ou encore les maladies. Les végétaux sont proches, leurs feuilles forment rapidement un couvert continu qui capte efficacement les rayons du soleil et permet la création d’un micro-climat rapidement, ce qui favorise le développement de l’humus dans le sous-bois, essentiel à tout le vivant pour être résilient.

Le fait de planter les arbres jeunes permet aussi de contenir les coûts d’implémentation et améliore leurs chances de survie, car ils sont plus adaptables quand ils sont jeunes.

D’autres part, la méthode Miyawaki crée des forêts qui sont autonomes au bout de 3 ans, ce qui réduit aussi considérablement les coûts liés à l’entretien. Même une pelouse tondue demande un entretien coûteux en arrosage et en tonte, alors que ces petits espaces sauvages, non.

Par ailleurs, cette méthode est très facile à prendre en main. Pour peu que l’on s’intéresse à ses différentes composantes, n’importe qui, même sans bagage scientifique ou expérience en jardinage peut planter une forêt avec cette méthode.

Enfin, elle repose essentiellement sur l’implication citoyenne, notamment en permettant à de nombreux bénévoles de venir planter, même les enfants, puisque les arbres sont petits donc faciles à manipuler, ce qui a de grandes vertus pour sensibiliser le public et l’engager dans une action concrète.

À notre connaissance, aucune autre méthode pour recréer un milieu forestier ne réunit autant d’atouts.

Vous replantez des arbres en ville mais aussi dans les campagnes ?

Si la méthode Miyawaki permet de planter des forêts dans tout type d’endroit, avec l’association Boomforest, nous plantons principalement en milieu urbain ou péri-urbain.

Cela s’explique par une question d’opportunités : nous sommes avant tout des citadins et conformément aux valeurs de l’association, nous avons tout d’abord voulu planter là où nous nous trouvions, dans notre lieu de résidence : Paris et Lyon. Par effet d’entraînement, ce sont surtout les municipalités voisines qui nous ont ensuite sollicités pour de nouvelles plantations, donc principalement dans des zones urbaines.

Par ailleurs, l’intensification des phénomènes météorologiques extrêmes comme les canicules se ressentant particulièrement fortement en ville, ce sont surtout ces dernières qui expriment le plus urgemment le besoin de faire une nouvelle place aux arbres en leur sein.

Vous travaillez seulement avec les particuliers ou même les entreprises peuvent lancer leur projet ?

L’association Boomforest travaille très majoritairement avec des collectivités. Nous plantons, et aidons à planter, sur des terrains publics appartenant aux villes, départements, ou métropoles. Cela est avant tout un choix délibéré : nous souhaitons que ces mini-forêts plantées par les citoyens appartiennent aux citoyens. Que ce soit eux qui puissent en profiter avant tout !

Cela dit, n’importe qui peut s’emparer de la méthode Miyawaki pour planter une mini-forêt et nous avons été régulièrement sollicités par des particuliers disposant d’un terrain, ou des entreprises.

Nous partageons nos retours d’expérience et nos ressources avec toutes les personnes intéressées pour lancer ce type d’initiative, mais n’avons pas vocation à les chapeauter. Boomforest est avant tout un projet local qui vise à le rester. Nous préférons concentrer nos efforts là où se trouve notre ancrage géographique et donner aux habitants locaux les moyens de faire par eux-mêmes dans les zones où nous ne sommes pas présents.

Quels sont vos résultats aujourd’hui ? Combien d’arbres ont été plantés depuis la création de Boomforest ?

Il est difficile de dire exactement combien d’arbres ont été plantés depuis le début de l’aventure Boomforest ! En réalité, nous n’avons jamais vraiment cherché à compter.

Nous aurions pu les décompter méthodiquement et communiquer sur des chiffres qui deviennent vite impressionnants, car on plante des sujets jeunes et de façon très dense. On atteint donc rapidement le millier d’arbres sur une seule plantation.

Mais nous préférons mettre l’accent sur la qualité du boisement et sa diversité, plutôt que sur le nombre d’arbres qui, selon nous, ne dit rien de la technique utilisée. On l’a vu, nous pourrions nous vanter de planter des dizaines de milliers…de pins Douglas ! Ça serait sûrement impressionnant, mais d’un bien faible intérêt écologique.

Pour vous donner tout de même un ordre d’idée, nous avons planté 26 mini-forêts depuis 2018. En moyenne la surface plantée varie entre 250 et 800 mètres carrés et compte 3 arbres par mètre carré. Chaque plantation a mobilisé près d’une centaine de bénévoles, souvent des riverains, et de nombreux enfants des écoles alentours.

Nous plantons uniquement des espèces indigènes et chaque mini-forêt est composée d’au moins 20 espèces différentes, parfois près de 30 ! On retrouve de tout : de très grands arbres comme les chênes ou les frênes, des arbres plus petits comme les noisetiers, et différents arbustes, comme les sureaux, les genêts ou les prunelliers.

Au niveau des résultats, nous ne disposons encore que d’un recul limité puisque notre forêt la plus ancienne aura 6 ans cette année. C’est encore un bébé ! Mais globalement, nous observons une belle croissance et un impressionnant taux de survie des végétaux dans la plupart des forêts plantées. Parfois, nous observons que certaines forêts poussent plus lentement, mais c’est principalement dû à une préparation du sol incomplète, ce sur quoi nous tâchons d’être encore plus vigilants aujourd’hui.

Nous avons eu la chance d’aller voir les forêts plantées au Japon selon cette méthode. Certaines ont plus de 50 ans et elles sont magnifiques ! On croirait qu’elles ont toujours été là tant les arbres sont devenus impressionnants et majestueux. Nous espérons pouvoir constater les mêmes résultats en France dans les décennies à venir.

Pour terminer, FileVert est un outil qui permet aujourd’hui de transférer des fichiers mais aussi de collaborer sur des fichiers. Que pensez-vous de la solution ?

La solution de FileVert nous semble intéressante et assez alignée avec notre état d’esprit pour plusieurs raisons :

  • elle propose une alternative française, claire et efficace à une solution industrielle et très époque, que d’autres fournisseurs de services similaires proposent sans tenir compte le moins du monde de l’impact écologique du numérique. Dans notre association, nous avons dès le départ questionné nos usages et les outils que nous utilisions pour mener à bien notre mission, et il n’y a pas d’outil technique qui n’ait fait l’objet de débats : le fournisseur de mails, l’hébergement du site web, nos outils pour communiquer, nos méthodologies d’actions sur le terrain… Pour cette raison, ça fait du bien de voir que certains services numériques assument rendent visible leur impact, mais cherchent en plus à le réduire. Montrer qu’une solution alternative est possible, c’est très important, dans un monde qui se standardise et qui limite souvent la liberté de choisir des gens ;
  • l’interface est simple, accessible, ne demande aucune compétence, et elle est agréable à utiliser. C’est très important de rester simple quand on veut toucher un large public, et beaucoup de solutions alternatives super intéressantes pèchent encore un peu sur cet aspect ergonomique.
  • C’est souple, ça fait le travail, et ça passe un message. La limite temporelle des téléchargements (deux jours, pas plus) peut paraître contraignante, mais elle a le mérite de souligner aussi que les fichiers ne sont pas stockés dans un espace infini, il n’y a pas de magie. C’est très sain de prendre conscience des limites de nos outils, surtout de ceux qui semblent immatériels comme le numérique.